Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/24

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tait & les mains de battre. Adieu l’homme aux phrases. Mon enfant, nous sommes ces deux Architectes ; le temple dont il s’agit est celui de l’amitié.

Résumons un peu les belles choses que tu m’as dites. Premierement, que nous nous aimions ; & puis, que je t’étois nécessaire ; & puis, que tu me l’étois aussi ; & puis, qu’étant libres de passer nos jours ensemble, il les y faloit passer. Et tu as trouvé tout cela toute seule ? Sans mentir tu es une éloquente personne ! Oh bien ! que je t’apprenne à quoi je m’occupois de mon côté, tandis que tu méditois cette sublime lettre. Après cela, tu jugeras toi-même lequel vaut le mieux de ce que tu dis, ou de ce que je fais.

À peine eus-je perdu mon mari, que tu remplis le vuide qu’il avoit laissé dans mon cœur. De son vivant il en partageoit avec toi les affections ; dès qu’il ne fut plus, je ne fus qu’à toi seule & selon ta remarque sur l’accord de la tendresse maternelle & de l’amitié, ma fille même n’étoit pour nous qu’un lien de plus. Non seulement, je résolus dès-lors de passer le reste de ma vie avec toi ; mais je formai un projet plus étendu. Pour que nos deux familles n’en fissent qu’une, je me proposai, supposant tous les rapports convenables, d’unir un jour ma fille à ton fils aîné & ce nom de mari trouvé d’abord par plaisanterie, me parut d’heureux augure pour le lui donner un jour tout de bon.

Dans ce dessein, je cherchai d’abord à lever les embarras d’une succession embrouillée & me trouvant assez de bien pour sacrifier quelque chose à la liquidation du reste, je