Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/265

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qui l’enfant n’a rien à commander. J’ai suivi en cela tout le contre-pied des autres meres, qui font semblant de vouloir que l’enfant obéisse au domestique & veulent en effet que le domestique obéisse à l’enfant. Personne ici ne commande ni n’obéit ; mais l’enfant n’obtient jamais de ceux qui l’approchent qu’autant de complaisance qu’il en a pour eux. Par là, sentant qu’il n’a sur tout ce qui l’environne d’autre autorité que celle de la bienveillance, il se rend docile & complaisant ; en cherchant à s’attacher les cœurs des autres, le sien s’attache à eux à son tour ; car on aime en se faisant aimer, c’est l’infaillible effet de l’amour-propre ; & de cette affection réciproque, née de l’égalité, résultent sans effort les bonnes qualités qu’on prêche sans cesse à tous les enfans, sans jamais en obtenir aucune.

J’ai pensé que la partie la plus essentielle de l’éducation d’un enfant, celle dont il n’est jamais question dans les éducations les plus soignées, c’est de lui bien faire sentir sa misere, sa foiblesse, sa dépendance & comme vous a dit mon mari, le pesant joug de la nécessité que la nature impose à l’homme ; & cela, non seulement afin qu’il soit sensible à ce qu’on fait pour lui alléger ce joug, mais sur-tout afin qu’il connaisse de bonne heure en quel rang l’a placé la Providence, qu’il ne s’éleve point au-dessus de sa portée & que rien d’humain ne lui semble étranger à lui.

Induits des leur naissance par la mollesse dans laquelle ils sont nourris, par les égards que tout le monde a pour eux, par la facilité d’obtenir tout ce qu’ils désirent, à penser que tout doit céder à leurs fantaisies, les jeunes gens entrent dans