Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/307

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reste. Cette réunion excita dans toute la maison un retentissement d’allégresse & une fermentation qui n’est pas encore calmée. Julie ; hors d’elle-même, étoit dans une agitation où je ne l’avois jamais vue ; il fut impossible de songer à rien de toute la journée qu’à se voir & s’embrasser sans cesse avec de nouveaux transports. On ne s’avisa pas même du salon d’Apollon ; le plaisir étoit par-tout, on n’avoit pas besoin d’y songer. À peine le lendemain eut-on assez de sang-froid pour préparer une fête. Sans Wolmar tout seroit allé de travers. Chacun se para de son mieux. Il n’y eut de travail permis que ce qu’il en faloit pour les amusements. La fête fut célébrée, non pas avec pompe, mais avec délire ; il y régnoit une confusion qui la rendoit touchante & le désordre en faisoit le plus bel ornement.

La matinée se passa à mettre Mde. d’Orbe en possession de son emploi d’intendante ou de maîtresse d’hôtel ; & elle se hâtoit d’en faire les fonctions avec un empressement d’enfant qui nous fit rire. En entrant pour dîner dans le beau salon, les deux cousines virent de tous côtés leurs chiffres unis & formés avec des fleurs. Julie devina dans l’instant d’où venoit ce soin : elle m’embrassa dans un saisissement de joie. Claire, contre son ancienne coutume, hésita d’en faire autant. Wolmar lui en fit la guerre ; elle prit en rougissant le parti d’imiter sa cousine. Cette rougeur que je remarquai trop me fit un effet que je ne saurois dire, mais je ne me sentis pas dans ses bras sans émotion.

L’apres-midi il y eut une belle collation dans le gynécée,