Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/434

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Tout ce qu’on lui demande comme il faut, on se le donne ; et comme vous l’avez dit, on augmente sa force en reconnaissant sa faiblesse. Mais, si l’on abuse de l’oraison et qu’on devienne mystique, on se perd à force de s’élever ; en cherchant la grâce, on renonce à la raison ; pour obtenir un don du ciel, on en foule aux pieds un autre ; en s’obstinant à vouloir qu’il nous éclaire, on s’ôte les lumières qu’il nous a données. Qui sommes-nous pour vouloir forcer Dieu de faire un miracle ?

Vous le savez ; il n’y a rien de bien qui n’ait un excès blâmable, même la dévotion qui tourne en délire. La vôtre est trop pure pour arriver jamais à ce point ; mais l’excès qui produit l’égarement commence avant lui, et c’est de ce premier terme que vous avez à vous défier. Je vous ai souvent entendue blâmer les extases des ascétiques ; savez-vous comment elles viennent ? En prolongeant le temps qu’on donne à la prière plus que ne le permet la faiblesse humaine. Alors l’esprit s’épuise, l’imagination s’allume et donne des visions ; on devient inspiré, prophète et il n’y a plus ni sens ni génie qui garantisse du fanatisme. Vous vous enfermez fréquemment dans votre cabinet, vous vous recueillez, vous priez sans cesse ; vous ne voyez pas encore les Piétistes [1], mais vous

    ber dans l’erreur ; je ne pense pas ainsi. C’est un petit mal de se tromper ; c’en est un grand de se mal conduire. Ceci ne contredit point, à mon avis, ce que j’ai dit ci-devant sur le danger des fausses maximes de morale. Mais il faut laisser quelque chose à faire au lecteur.

  1. Sorte de fous qui avaient la fantaisie d’être Chrétiens et de suivre l’Evangile à la lettre : à peu près comme sont aujourd’hui les Méthodistes en Angleterre, les Moraves en Allemagne, les Jansénistes en France ;