Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/494

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& insinuant avec lequel mille fourbes séduisent tous les jours autant de filles bien nées ; mais seul parmi tant d’autres il étoit honnête homme, & pensoit ce qu’il disait. Etait-ce ma prudence qui l’avoit discerné ? Non ; je ne connus d’abord de lui que son langage & je fus séduite. Je fis par désespoir ce que d’autres font par effronterie : je me jetai, comme disoit mon pere, à sa tête ; il me respecta. Ce fut alors seulement que je pus le connaître. Tout homme capable d’un pareil trait a l’ame belle ; alors on y peut compter. Mais j’y comptois auparavant, ensuite j’osai compter sur moi-même ; & voilà comment on se perd.

Elle s’étendit avec complaisance sur le mérite de cet amant ; elle lui rendoit justice, mais on voyoit combien son cœur se plaisoit à la lui rendre. Elle le louoit même à ses propres dépens. À force d’être équitable envers lui, elle étoit inique envers elle & se faisoit tort pour lui faire honneur. Elle alla jusqu’à soutenir qu’il eut plus d’horreur qu’elle de l’adultere, sans se souvenir qu’il avoit lui-même réfuté cela.

Tous les détails du reste de sa vie furent suivis dans le même esprit. Milord Edouard, son mari, ses enfans, votre retour, notre amitié, tout fut mis sous un jour avantageux. Ses malheurs même lui en avoient épargné de plus grands. Elle avoit perdu sa mere au moment que cette perte lui pouvoit être la plus cruelle ; mais si le Ciel la lui eût conservée, bientôt il fût survenu du désordre dans sa famille. L’appui de sa mere, quelque foible qu’il fût, eût suffi pour la rendre plus courageuse à résister à son pere ; & de là seroient sortis la discorde & les scandales, peut-être les désastres