Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/81

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sont les gens de la basse-cour, qui travaillent eux-mêmes & sont intéressés au travail des autres par un petit denier qu’on leur accorde, outre leurs gages, sur tout ce qu’on recueille par leurs soins. De plus M. de Wolmar les visite lui-même presque tous les jours, souvent plusieurs fois le jour & sa femme aime à être de ces promenades. Enfin, dans le tems des grands travaux, Julie donne toutes les semaines vingt batz [1] de gratification à celui de tous les travailleurs, journaliers ou valets indifféremment, qui, durant ces huit jours, a été le plus diligent au jugement du maître. Tous ces moyens d’émulation qui paraissent dispendieux, employés avec prudence & justice, rendent insensiblement tout le monde laborieux, diligent & rapportent enfin plus qu’ils ne coûtent : mais comme on n’en voit le profit qu’avec de la constance & du tems, peu de gens savent & veulent s’en servir.

Cependant un moyen plus efficace encore, le seul auquel des vues économiques ne font point songer & qui est plus propre à Madame de Wolmar, c’est de gagner l’affection de ces bonnes gens en leur accordant la sienne. Elle ne croit point s’acquitter avec de l’argent des peines que l’on prend pour elle & pense devoir des services à quiconque lui en a rendu. Ouvriers, domestiques, tous ceux qui l’ont servie, ne fût-ce que pour un seul jour, deviennent tous ses enfans ; elle prend part à leurs plaisirs, à leurs chagrins, à leur sort ; elle s’informe de leurs affaires ; leurs intérêts sont les siens ; elle se charge de mille soins pour eux ; elle leur donne des conseils ; elle accommode leurs différends & ne leur marque

  1. Petite monnie du pays.