Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/109

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Favorin [1], naissent des grands biens ; & souvent le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque est de s’ôter celles qu’on a. C’est à force de nous travailler pour augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère. Tout homme qui ne voudroit que vivre, vivroit heureux ; par conséquent il vivroit bon ; car où seroit pour lui l’avantage d’être méchant ?

Si nous étions immortels, nous serions des êtres très misérables. Il est dur de mourir, sans doute ; mais il est doux d’esr qu’on ne vivra pas toujours, et qu’une meilleure vie finira les peines de celle-ci. Si l’on nous offroit l’immortalité sur la terre, qui est-ce [2] qui voudroit accepter ce triste présent ? Quelle ressource, quel espoir, quelle consolation nous resteroit contre les rigueurs du sort & contre les injustices des hommes ? L’ignorant, qui ne prévoit rien, sent peu le prix de la vie, & craint peu de la perdre ; l’homme éclairé voit des biens d’un plus grand prix, qu’il préfère à celui-là. Il n’y a que le demi-savoir & la fausse sagesse qui, prolongeant nos vues jusqu’à la mort, & pas au delà, en font pour nous le pire des maux. La nécessité de mourir n’est à l’homme sage qu’une raison pour supporter les peines de la vie. Si l’on n’étoit pas sur de la perdre une fois, elle coûteroit trop à conserver.

Nos maux moraux sont tous dans l’opinion, hors seul, qui est le crime ; & celui-là dépend de nous : nos maux physiques se détruisent ou nous détruisent. Le temps

  1. (2) Noct. Attic. L. IX. C. 8.
  2. (*) On conçoit que je parle ici des hommes qui réfléchissent, et non pas de tous les hommes.