Valets de leurs Valets. Prenez tout, usurpez tout, & puis versez l’argent à pleines mains, dressez des batteries de canon ; élevez des gibets, des roues, donnez des loix, des édits, multipliez les espions, les soldats, les bourreaux, les prisons, les chaînes ; pauvres petits hommes, de quoi vous sert tout cela ? vous n’en serez ni mieux servis, ni moins volés, ni moins trompés, ni plus absolus. Vous direz toujours, nous voulons, & vous ferez toujours ce que voudront les autres.
Le seul qui fait sa volonté est celui qui n’a pas besoin, pour la faire, de mettre les bras d’un autre au bout des siens : d’ou il suit, que le premier de tous les biens n’est pas l’autorité, mais la liberté. L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut, & fait ce qu’il lui plait. Voilà ma maxime fondamentale. Il ne s’agit que de l’appliquer à l’enfance, & toutes les regles de l’éducation vont en découler.
La société a fait l’homme plus foible, non-seulement en lui ôtant le droit qu’il avoit sur ses propres forces, mais sur-tout en les lui rendant insuffisantes. Voilà pourquoi ses desirs se multiplient avec sa foiblesse, & voilà ce qui fait celle de l’enfance, comparée à l’âge d’homme. Si l’homme est un être fort, & si l’enfant est un être foible, ce n’est pas parce que le premier a plus de force absolue que le second, mais c’est parce que le premier peut naturellement se suffire à lui-même & que l’autre ne le peut. L’homme doit donc avoir plus de volontés, & l’enfant plus de fantaisies ; mot par lequel j’entends tous les desirs qui ne sont pas de vrais besoins, & qu’on ne peut contenter qu’avec le secours d’autrui.