Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/130

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pesant joug de la nécessité, sous lequel il faut que tout être fini ploie ; qu’il voie cette nécessité dans les choses, jamais dans le caprice [1] des hommes ; que le frein qui le retient soit la force, & non l’autorité. Ce dont il doit s’abstenir, ne le lui défendez pas ; empêchez-le de le faire, sans explications, sans raisonnements ; ce que vous lui accordez, accordez-le à son premier mot, sans sollicitations, sans prier surtout sans conditions. Accordez avec plaisir, ne refusez qu’avec répugnance ; mais que tous vos refus soient irrévocables ; qu’aucune importunité ne vous ébranle ; que le non prononcé soit un mur d’airain, contre lequel l’enfant n’aura pas épuisé cinq ou six fois ses forces, qu’il ne tentera plus de le renverser.

C’est ainsi que vous le rendrez patient, égal, résigne, paisible, même quand il n’aura pas ce qu’il a voulu ; car il est dans la nature de l’homme d’endurer patiemment la nécessité des choses, mais non la mauvaise volonté d’autrui. Ce mot : il n’y en a plus est une réponse contre laquelle jamais enfant ne s’est mutiné, à moins qu’il ne crut que c’étoit un mensonge. Au reste, il n’y a point ici de milieu ; il faut n’en rien exiger du tout, ou le plier d’abord à la plus parfaite obéissance. La pire éducation est de le laisser flottant entre ses volontés & les vôtres, & de disputer sans cesse entre vous & lui à qui des deux sera le maître ; j’aimerois cent fois mieux qu’il le fût toujours.

  1. On doit être sûr que l’enfant traitera de caprice toute volonté contraire à la sienne, & dont il ne sentira pas la raison. Or, un enfant ne sent la raison de rien dans tout ce qui ses fantaisies.