Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/189

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Vous lui trouvez pourtant de l’esprit ; & il en a pour babiller avec les femmes, sur le ton dont j’ai déjà parle ; mais qu’il soit dans le cas d’avoir à payer de sa personne, a prendre un parti dans quelque difficile, vous le verrez cent fois plus stupide & plus bête que le fils du plus gros manant.

Pour mon élève, ou plutôt celui de la nature, exercé de bonne heure à se suffire à lui-même autant qu’il est possible, il ne s’accoutume point à recourir sans cesse aux autres, encore moins à leur étaler son grand savoir. En revanche, il juge, il prévoit, il raisonne en tout ce qui se rapporte immédiatement à lui. Il ne jase pas, il agit ; il ne sait pas un mot de ce qui se fait dans le monde, mais il sait fort bien faire ce qui lui convient. Comme il est sans cesse en mouvement, il est forcé d’observer beaucoup de choses, de connaître beaucoup d’effets ; il acquiert de bonne heure une grande expérience : il prend ses leçons de la nature & non pas des hommes ; il s’instruit d’autant mieux qu’il ne voit nulle part l’intention de l’instruire. Ainsi son corps & son esprit s’exercent à la fois. Agissant toujours d’après sa pensée, & non d’après celle d’un autre, il unit continuellement deux opérations ; plus il se rend fort & robuste, plus il devient sensé & judicieux. C’est le moyen d’avoir un jour ce qu’on croit incompatible & ce que presque tous les grands hommes ont réuni, la force du corps & celle de l’âme, la raison d’un sage & la vigueur d’un athlète.

Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile ; c’est de