Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/197

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nuit. Je me prêtai de bon cœur a tout, & je commençai par bien constater à ses propres yeux le plaisir que j’avois a lui complaire ; après cela, quand il fut question de le guérir de sa fantaisie, je m’y pris autrement.

Il fallut d’abord le mettre dans son tort, & cela difficile. Sachant que les enfants ne songent jamais qu’au présent, je pris sur lui le facile avantage de la prévoyance ; j’eus soin de lui procurer au logis un amusement que je savois être extrêmement de son goût ; &, dans le moment où je l’en vis le plus engoué, j’allai lui proposer un tour de promenade ; il me renvoya bien loin ; j’insistai, il ne m’écouta pas ; il fallut me rendre, & il nota précieusement en lui-même ce signe d’assujettissement.

Le lendemain ce fut mon tour. Il s’ennuya, j’y avois pourvu ; moi, au contraire, je paroissois profondément occupe. Il n’en falloit pas tant pour le déterminer. Il ne manqua pas de venir m’arracher à mon travail pour le mener promener au plus vite. Je refusai ; il s’obstina. Non, lui dis-je ; en, faisant votre volonté vous m’avez appris à faire la mienne : je ne veux pas sortir. Eh bien, reprit-il vivement, je sortirai tout seul. Comme vous voudrez. Et je reprends mon travail.

Il s’habille, un peu inquiet de voir que je le laissois faire & que je ne l’imitois pas. Prêt à sortir, il vient me saluer ; je le salue ; il tâche de m’alarmer par le récit des courses qu’il va faire ; à l’entendre, on eût cru qu’il alloit au bout du monde. Sans m’émouvoir, je lui souhaite un bon voyage. Son embarras redouble. Cependant il fait