Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/237

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Cependant les concurrents usaient quelquefois de supercherie ; ils se retenaient mutuellement, ou se faisaient tomber, ou poussaient des cailloux au passage l’un de l’autre. Cela me fournit un sujet de les séparer, & de les faire partir de différents termes, quoique également éloignés du but : on verra bientôt la raison de cette prévoyance ; car je dois traiter cette importante affaire dans un grand détail.

Ennuyé de voir, toujours manger sous ses yeux des gâteaux qui lui faisaient grande envie, monsieur le chevalier s’avisa de soupçonner enfin que bien courir pouvoit être bon à quelque chose & voyant qu’il avoit aussi deux jambes, il commença de s’essayer en secret. Je me gardai d’en rien voir ; mais je compris que mon stratagème avoit réussi. Quand il se crut assez fort, & je lus avant lui dans sa pensée, il affecta de m’importuner pour avoir le gâteau restant. Je le refuse, il s’obstine, & d’un air dépité il me dit à la fin : Eh bien ! mettez-le sur la pierre, marquez le champ, & nous verrons. Bon ! lui dis-je en riant, est-ce qu’un chevalier sait courir ? Vous gagnerez plus d’appétit, & non de quoi le satisfaire. Piqué de ma raillerie, il s’évertue, & remporte le prix d’autant plus aisément, que j’avois fait la lice très courte & pris soin d’écarter le meilleur coureur. On conçoit comment, ce premier pas étant fait, il me fut aisé de le tenir en haleine. Bientôt il prit un tel goût à cet exercice, que, sans faveur, il étoit presque sûr de vaincre mes polissons à la course, quelque longue que fût la carrière.

Cet avantage obtenu en produisit un autre auquel je n’avois pas songé. Quand il remportoit rarement le prix, il le