Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/240

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l’enfant passe tout d’un coup de la mesure à l’estimation ; il faut d’abord que, continuant à comparer par parties ce qu’il ne sauroit comparer tout d’un coup, à des aliquotes précises il substitue des aliquotes par appréciation, & qu’au lieu d’appliquer toujours avec a main la mesure, il s’accoutume a l’appliquer seulement avec les yeux. je voudrois pourtant qu’on vérifiât ses premières opérations par des mesures réelles, afin qu’il corrigeât ses erreurs, & que, s’il reste dans le sens quelque fausse apparence, il apprît à la rectifier par un meilleur jugement. On a des mesures naturelles qui sont a peu près les mêmes en tout lieux : les pas d’un homme, l’étendue de ses bras, sa stature. Quand l’enfant estime la hauteur d’un étage, son gouverneur peut lui servir de toise : s’il estime la hauteur d’un clocher, qu’il le toise avec les maisons ; s’il veut savoir les lieues de chemin, qu’il compte les heures de marche ; & surtout qu’on ne fasse rien de toit cela pour lui, mais qu’il le fasse lui-même.

On ne sauroit apprendre à bien juger de l’étendue & de la grandeur des corps, qu’on n’apprenne à connaître aussi leurs figures & même à les imiter ; car au fond cette imitation ne tient absolument qu’aux lois de la perspective ; & l’on ne peut estimer l’étendue sur ses apparences, qu’on n’ait quelque sentiment de ces lois. Les enfants, grands imitateurs, essayent tous de dessiner : je voudrois que le mien cultivât cet art, non précisément pour l’art même, mais pour se rendre l’œil juste et la main flexible ; &, en général, il importe fort peu qu’il sache tel ou tel exercice, pourvu qu’il acquière la perspicacité du sens & la bonne habitude du corps qu’on gagne par cet