Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/271

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avons amené notre élève, à travers les pays des sensations, jusqu’aux confins, de la raison puérile : le premier pas que nous allons faire au delà doit être un pas d’homme. Mais, avant d’entrer dans cette nouvelle carrière, jetons un moment les yeux sur celle que nous venons de parcourir. Chaque âge, chaque état de la vie a sa perfection convenable, sa sorte de maturité qui lui est propre. Nous avons souvent oui parler un homme fait ; mais considérons un enfant fait : ce spectacle sera plus nouveau pour nous, & ne sera peut-être pas moins agréable.

L’existence des êtres finis est si pauvre & si bornée que, quand nous ne voyons que ce qui est, nous ne sommes jamais émus. Ce sont les chimères qui ornent les objets réels ; & si l’imagination n’ajoute un charme à ce qui nous frappe, le stérile plaisir qu’on y prend se borne à l’organe, & laisse toujours le cœur froid. La terre, parée des trésors de l’automne, étale une richesse que l’œil admire : mais cette admiration n’est point touchante ; elle vient plus de la réflexion que du sentiment. Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien, les bois n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que de poindre, & le cœur est touché à son aspect. En voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ; ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes a se joindre a tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières ; mais l’aspect des vendanges a beau être anime, vivant, agréable, on le voit toujours d’un œil sec.