Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/272

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Pourquoi cette différence ? C’est qu’au spectacle du printemps l’imagination joint celui des saisons qui le doivent suivre ; à ces tendres bourgeons que l’œil aperçoit, elle ajoute les fleurs, les fruits, les ombrages, quelquefois les mystères qu’ils peuvent couvrir. Elle réunit en un point des temps qui doivent se succéder, & voit moins les objets comme ils seront que comme elle les désire, parce qu’il dépend d’elle de les choisir. En automne, au contraire, on n’a plus à voir que ce qui est. Si l’on veut arriver au printemps, l’hiver nous arrête, & l’imagination glacée expire sur la neige & sur les frimas.

Telle est la source du charme qu’on trouve a contempler une belle enfance préférablement à la perfection de l’âge mur. Quand est-ce que nous goûtons un vrai plaisir à voir un homme ? c’est quand la mémoire de ses actions nous fait rétrograder sur sa vie, & le rajeunit, pour ainsi dire, à nos yeux. Si nous sommes réduits à le considérer tel qu’il est, ou à le supposer tel qu’il sera dans sa vieillesse, l’idée de la nature déclinante efface tout notre plaisir. Il n’y en a point à voir avancer un homme à grands pas vers sa tombe, & l’image de la mort enlaidit tout.

Mais quand je me figure un enfant de dix à douze ans, sain, vigoureux, bien formé pour son âge il ne me fait pas naître une idée qui ne soit agréable, soit pour le présent, soit pour l’avenir : je le vois bouillant, vif, animé, sans souci rongeant, sans longue & pénible prévoyance, tout entier à son être actuel, & jouissant d’une plénitude de vie qui semble vouloir s’étendre hors de lui. Je le prévois dans un autre