Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/29

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but assuré ; mais parmi nous où les rangs seuls demeurent, & où les hommes en changent sans cesse, nul ne sait si en élevant son fils pour le sien il ne travaille pas contre lui.

Dans l’ordre naturel, les hommes étant tous égaux, leur vocation commune est l’état d’homme, & quiconque est bien élevé pour celui-là ne peut mal remplir ceux qui s’y rapportent. Qu’on destine mon élève à l’épée, à l’église, au barreau, peu m’importe. Avant la vocation des parens la nature l’appelle à la vie humaine. Vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains il ne sera j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre ; il sera premierement homme ; tout ce qu’un homme doit être, il saura l’être au besoin tout aussi bien que qui que ce soit, & la fortune aura beau le faire changer de place il sera toujours à la sienne. Occupavi te, fortuna, atque cepi ; omnesque aditus tuos interclusi, ut ad me aspirare non posses [1].

Notre véritable étude est celle de la condition humaine. Celui d’entre nous qui sait le mieux supporter les biens & les maux de cette vie est à mon gré le mieux élevé ; d’où il suit que la véritable éducation consiste moins en préceptes qu’en exercices. Nous commençons à nous instruire en commençant à vivre ; notre éducation commence avec nous ; notre premier précepteur est notre nourrice. Aussi ce mot éducation avoit-il chez les anciens un autre sens que nous

  1. (5) Tuscul. V.