Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/325

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inventer une situation où tous les besoins naturels de l’homme se montrent d’une manière sensible à l’esprit d’un enfant, & où les moyens de pourvoir a ces mêmes besoins se développent successivement avec la même facilité, c’est par la peinture vive et naÏve de cet état qu’il faut donner le premier exercice à son imagination.

Philosophe ardent, je vois déjà s’allumer la vôtre. Ne vous mettez pas en frais ; cette situation est trouvée, elle est décrite, &, sans vous faire tort, beaucoup mieux que vous ne la décririez vous-même, du moins avec plus de vérité & de simplicité. Puisqu’il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d’éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon émile ; seul il composera durant long-temps toute sa bibliothèque, & il y tiendra toujours une place distinguée. Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaire il servira d’épreuve durant nos progrès à l’état de notre jugement ; &, tant que notre pur ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? est-ce Pline ? est-ce Buffon ? Non ; c’est Robinson Crusoe.

Robinson Crusoe dans son île, seul, dépourvu de l’assistance de ses semblables et des instruments de tous les arts, pourvoyant cependant à sa subsistance, à sa conservation, & se procurant même une sorte de bien-être, voilà un objet intéressant pour tout âge, & qu’on a mille moyens de rendre agréable aux enfants. Voilà comment nous réalisons l’île déserte qui me servoit d’abord de comparaison. Cet état n’est