Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/330

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pour être sages, & puis vous leur en donnerez pour juger en quoi les autres sont foux."

Voilà les spécieuses maximes sur lesquelles la fausse prudence des pères travaille à rendre leurs enfants esclaves des préjugés dont ils les nourrissent, & jouets eux-mêmes de la tourbe insensée dont ils pensent faire l’instrument de leurs passions. Pour parvenir a connaître l’homme, que de choses il faut connaître avant lui ! L’homme est la dernière étude du sage, & vous prétendez en faire la première d’un enfant ! Avant de l’instruire de nos sentiments, commencez par lui apprendre à les apprécier. Est-ce connaître une folie que de la prendre pour la raison ? Pour être sage il faut discerner ce qui ne l’est pas. Comment votre enfant connoîtra-t-il les hommes, s’il ne sait ni juger leurs jugements ni démêler leurs erreurs ? C’est un mal de savoir ce qu’ils pensent, quand on ignore si ce qu’ils pensent est vrai ou faux. Apprenez donc premièrement ce que sont les choses en elles-mêmes, et vous lui apprendrez après ce qu’elles sont à nos yeux ; c’est ainsi qu’il saura comparer l’opinion à la vérité, & s’élever au-dessus du vulgaire ; car on ne connaît point les préjugés quand on les adopte, & l’on ne mène point le peuple quand on lui ressemble. Mais si vous commencez par l’instruire de l’opinion publique avant de lui apprendre à l’apprécier, assurez vous que, quoi que vous puissiez faire, elle deviendra la sienne, & que vous ne la détruirez plus. Je conclus que, pour rendre un jeune homme judicieux, il faut bien former ses jugements, au lieu de lui dicter les nôtres.