Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/34

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plus voulu nourrir leurs enfants, il a fallu les confier à des femmes mercenaires, qui, se trouvant ainsi mères d’enfants étrangers pour qui la nature ne leur disoit rien, n’ont cherché qu’à s’épargner de la peine. Il eût fallu veiller sans cesse sur un enfant en liberté ; mais, quand il est bien lié, on le jette dans un coin sans s’embarrasser de ses cris. Pourvu qu’il n’y ait pas de preuves de la négligence de la nourrice, pourvu que le nourrisson ne se casse ni bras ni jambe, qu’importe, au surplus, qu’il périsse ou qu’il demeure infirme le reste de ses jours ? On conserve ses membres aux dépens de son corps, et, quoi qu’il arrive, la nourrice est disculpée.

Ces douces mères qui, débarrassées de leurs enfants, se livrent gaiement aux amusements de la ville, savent elles. cependant quel traitement l’enfant dans son maillot reçoit au village ? Au moindre tracas qui survient, on le suspend à un clou comme un paquet de hardes ; & tandis que, sans se presser, la nourrice vaque à ses affaires, le malheureux reste ainsi crucifié. Tous ceux qu’on a trouvés dans cette situation avoient le visage violet ; la poitrine fortement comprimée ne laissant pas circuler le sang, il remontoit à la tête ; & l’on croyoit le patient fort tranquille, parce qu’il n’avoit pas la force de crier. J’ignore combien d’heures un enfant peut rester en cet état sans perdre la vie, mais je doute que cela puisse aller fort loin. Voilà, je pense, une des plus grandes commodités du maillot.

On prétend que les enfans en liberté pourroient prendre de mauvaises situations, et se donner des mouvements