Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/372

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ne faut rien donner à l’autorité ; & la plupart de nos erreurs nous viennent bien moins de nous que des autres. De cet exercice continuel il doit résulter une vigueur d’esprit semblable à celle qu’on donne au corps par le travail & par la fatigue. Un autre avantage est qu’on n’avance qu’à proportion de ses forces. L’esprit, non plus que le corps, ne porte que ce qu’il peut porter. Quand l’entendement les choses avant de les déposer dans la mémoire, ce qu’il en tire ensuite est à lui ; au lieu qu’en surchargeant la mémoire a son insu, on s’expose à n’en jamais rien tirer qui lui soit propre.

Emile a peu de connaissances, mais celles qu’il a sont véritablement siennes ; il ne sait rien à demi. Dans le petit nombre des choses qu’il sait & qu’il sait bien, la plus importante est qu’il y en a beaucoup qu’il ignore & qu’il peut savoir un jour, beaucoup plus que d’autres hommes savent & qu’il ne saura de sa vie, & une infinité d’autres qu’aucun homme ne saura jamais. Il a un esprit universel, non par les lumières, mais par la faculté d’en acquérir ; un esprit ouvert, intelligent, prêt à tout, &, comme dit Montaigne, sinon instruit, du moins instruisable. Il me suffit qu’il sache trouver l’à quoi bon sur tout ce qu’il fait, & le pourquoi sur tout ce qu’il croit. Car encore une fois, mon objet n’est point de lui donner la science, mais de lui apprendre à l’acquérir au besoin, de la lui faire estimer exactement ce qu’elle vaut, & de lui faire aimer la vérité par-dessus tout. Avec cette méthode on avance peu, mais on ne fait jamais un pas inutile, & l’on n’est point forcé de rétrograder.

émile n’a que des connaissances naturelles & purement