Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/373

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physiques. Il ne sait pas même le nom de l’histoire, ni ce que c’est que métaphysique & morale. Il connaît les rapports essentiels de l’homme aux choses, mais nul des rapports moraux de l’homme à l’homme. Il sait peu généraliser d’idées, peu faire d’abstractions. Il voit des qualités communes à certains corps sans raisonner sur ces qualités en elles-mêmes. Il connoît l’étendue abstraite à aide des figures de la géométrie ; il connaît la quantité abstraite à l’aide des signes de l’algèbre.. Ces figures & ces signes sont le, supports de ces abstractions, sur lesquels ses sens se reposent. Il ne cherche point à connaître les choses par leur nature, mais seulement par les relations qui l’intéressent. Il estime ce qui lui est étranger que par rapport à lui ; mais cette estimation est exacte & sûre. La fantaisie, la convention, n’y entrent pour rien. Il fait plus de cas de ce qui lui est plus utile ; & ne se départant jamais de cette manière d’apprécier, il ne donne rien à l’opinion.

Emile est laborieux, tempérant, patient, ferme, plein de courage. Son imagination, nullement allumée, ne lui grossit jamais les dangers ; il est sensible a peu de maux, et il sait souffrir avec constance, parce qu’il n’a point appris à disputer contre la destinée. À l’égard de la mort, il ne sait pas encore bien ce que c’est ; mais, accoutume a subir sans résistance la loi de la nécessité, quand il faudra mourir il mourra sans gémir & sans se débattre ; c’est tout ce que la nature permet dans ce moment abhorré de tous. Vivre libre & peu tenir aux choses humaines est le meilleur moyen d’apprendre à mourir.