Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/377

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naissant les anime, leurs regards plus vifs ont encore une sainte innocence, mais ils n’ont plus leur première imbécillité : il sent déjà qu’ils peuvent trop dire, il commence à savoir les baisser & rougir ; il devient sensible, avant de savoir ce qu’il sent ; il est inquiet sans raison de l’être. Tout cela peut venir lentement & vous laisser du tems encore : mais si sa vivacité se rend trop impatiente, si son emportement se change en fureur, s’il s’irrite & s’attenant d’un instant à l’autre, s’il verse des pleurs sans sujet, si, près des objets qui commencent à devenir dangereux pour lui son pouls s’élève & son œil s’enflamme, si la main d’une femme se posant sur la sienne le fait frissonner, s’il se trouble ou s’intimide auprès d’elle ; Ulysse, ô sage Ulysse, prends garde à toi ; les outres que tu fermois avec tant de soin sont ouvertes ; les vents sont déjà déchaînés ; ne quitte plus un moment le gouvernail, ou tout est perdu.

C’est ici la seconde naissance dont j’ai parlé ; c’est ici que l’homme naît véritablement à la vie, & que rien d’humain n’est étranger à lui. Jusqu’ici nos soins n’ont été que des jeux d’enfant ; ils ne prennent qu’à présent une véritable importance. Cette époque, où finissent les éducations ordinaires, est proprement celle où la nôtre doit commencer ; mais, pour bien exposer ce nouveau plan, reprenons de plus haut l’état des choses qui s’y rapportent.

Nos passions sont les principaux instruments notre conservation : c’est donc une entreprise aussi vaine que ridicule de vouloir les détruire ; c’est contrôler la nature c’est réformer l’ouvrage de Dieu. Si Dieu disoit à l’homme d’anéantir