Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/388

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Quoique la pudeur soit naturelle a l’espèce humaine, naturellement les enfants n’en ont point. La pudeur ne naît qu’avec la connoissance du mal : & comment les enfants, qui n’ont ai ne doivent avoir cette connaissance, auraient-ils le sentiment qui en est l’effet ? Leur donner des leçons de pudeur & d’honnêteté, c’est leur apprendre qu’il y a des choses honteuses & déshonnêtes, c’est leur donner un désir secret de connoître ces choses-là. Tôt ou tard ils en viennent à bout, & la première étincelle qui touche à l’imagination accélère à coup sûr l’embrasement des sens. Quiconque rougit est déjà coupable ; la vraie innocence n’a honte de rien.

Les enfants n’ont pas les mêmes désirs que les hommes ; mais, sujets comme eux à la malpropreté qui blesse les sens, ils peuvent de ce seul assujettissement recevoir les mêmes leçons de bienséance. Suivez l’esprit de la nature, qui, plaçant dans les mêmes lieux les organes des plaisirs secrets & ceux des besoins dégoûtants, nous inspire les mêmes soins à différents âges, tantôt par une idée & tantôt par une autre ; à l’homme par la modestie, à l’enfant par la propreté.

Je ne vois qu’un bon moyen de conserver aux enfants leur innocence ; c’est que tous ceux qui les entourent la respectent & l’aiment. Sans cela, toute la retenue dont on tâche d’user avec eux se dément tôt ou tard ; un sourire, un clin d’œil un geste échappé, leur disent tout ce qu’on cherche à leur taire ; il leur suffit, pour l’apprendre, de voir qu’on le leur a voulu cacher. La délicatesse de tours et d’expressions dont se servent entre eux les gens polis, supposant