Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/405

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& si quelque différence essentielle les distingue, elle est au préjudice des plus dissimulés. Le peuple se montre tel qu’il est, & n’est pas aimable : mais il faut bien que les gens du monde se déguisent ; s’ils se montroient tels qu’ils sont, ils feroient horreur.

Il y a, disent encore nos sages, même dose de bonheur & de peine dans tous les états : maxime aussi funeste qu’insoutenable : car, si tous sont également heureux, qu’ai-je besoin de m’incommoder pour personne ? Que chacun reste comme il est : que l’esclave soit maltraité, que l’infirme souffre, que le gueux périsse ; il n’y a rien a gagner pour eux à changer d’état. Ils font l’énumération des peines du riche, et montrent l’inanité de ses vains plaisirs : quel grossier sophisme ! les peines du riche ne lui viennent point de son état, mais de lui seul, qui en abuse. Fût-il plus malheureux que le pauvre même, il n’est point à plaindre, parce que ses maux sont tous son ouvrage, & qu’il ne tient qu’a lui d’être heureux. Mais la peine du misérable lui vient des choses, de la rigueur du sort qui s’appesantit sur lui. Il n’y a point d’lui puisse ôter le sentiment physique de la fatigue, de l’épuisement, de la faim : le bon esprit ni la sagesse ne servent de rien pour l’exempter des maux de son état. Que gagne épictète de prévoir que son maître va lui casser la jambe ? la lui casse-t-il moins pour cela ? il a par-dessus son mal le mal de la prévoyance. Quand le peuple seroit aussi sensé que nous le supposons stupide, que pourrait-il être autre que ce qu’il est ? que pourroit-il faire autre que ce qu’il ait ? étudiez les gens pour ordre, vous verrez