Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/422

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gardez-vous de le lui dire ; si vous le lui dites, il ne le verra plus. Si vous exigez de lui de l’obéissance en retour des soins que vous lui avez rendus, il croira que vous l’avez surpris : il se dira -qu’en feignant de l’obliger gratuitement, vous avez prétendu le charger d’une dette, & le lier par un contrat auquel il n’a point consenti. En vain vous ajouterez que ce que vous exigez de lui n’est que pour lui-même : vous exigez enfin, & vous exigez en vertu de ce que vous avez fait sans son aveu. Quand un malheureux prend l’argent qu’on feint de lui donner, & se trouve enrôlé malgré lui, vous criez à l’injustice : n’êtes-vous pas plus injuste encore de demander à votre élève le prix des soin la point acceptés ?

L’ingratitude seroit plus si les bienfaits à usure étoient moins connus. On aime ce qui nous fait du bien ; c’est un sentiment si naturel ! L’ingratitude n’est pas dans le cœur de l’homme, mais l’intérêt y est : il y a moins d’obligés ingrats que de bienfaiteurs intéressés. Si vous me vendez vos dons, je marchanderai sur le prix ; mais si vous feignez de donner pour vendre ensuite à votre mot, vous usez de fraude : c’est d’être gratuits qui les rend inestimables. Le cœur ne reçoit de lois que de lui-même ; en voulant l’enchaîner on le dégage ; on l’enchaîne en le laissant libre.

Quand le pêcheur amorce l’eau, le poisson vient, & reste autour de lui sans défiance ; mais quand, pris à l’hameçon caché sous l’appât, il sent retirer la ligne, il tâche de fuir. Le pêcheur est-il le bienfaiteur ? lie poisson est-il