Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/427

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détruire, & que la force publique ajoutée au plus fort pour opprimer le faible rompt l’espèce d’équilibre que la nature avoit mis entre eux [1]. De cette première contradiction découlent toutes celles qu’on remarque dans l’ordre civil entre l’apparence & la réalité. Toujours la multitude sera sacrifiée au petit nombre, & l’intérêt public à l’intérêt particulier ; toujours ces noms spécieux de justice & de subordination serviront d’instruments à la violence & d’armes à l’iniquité : d’où il suit que les ordres distingués qui se prétendent utiles aux autres ne sont en effet utiles qu’à eux-mêmes aux dépens des autres ; par où l’on doit juger de la considération qui leur est due selon la justice & la raison. Reste à voir si le rang qu’ils se sont donné est plus favorable au bonheur de ceux qui l’occupent, pour savoir quel jugement chacun de nous doit porter de son propre sort. Voilà maintenant l’étude qui nous importe ; mais pour la bien faire, il faut commencer par connoître humain.

S’il ne s’agissoit que de montrer aux jeunes gens l’homme par son masque, on n’auroit pas besoin de le leur montrer, ils le verroient toujours de reste ; mais, puisque le masque n’est pas l’homme, & qu’il ne faut pas que son vernis le séduise, en leur peignant les hommes, peignez-les leur tels qu’ils sont, non pas afin qu’ils les haïssent, mais afin qu’ils les plaignent & ne leur veuillent pas ressembler. C’est, à mon gré, le

  1. L’esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible, & celui qui a contre celui qui n’a rien : cet inconvénient est inévitable & il est sans exception.