Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/432

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N’avez-vous jamais lu Cléopâtre ou Cassandre, ou d’autres livres de cette espèce ? L’auteur choisit un événement connu, puis, l’accommodant à ses vues, l’ornant de détails de son invention, de personnages qui n’ont jamais existé, & de portraits imaginaires, entasse fictions sur fictions pour rendre sa lecture agréable je vois peu de différence entre ces romans & vos histoires, si ce n’est que le romancier se livre davantage à sa propre imagination, & que l’historien s’asservit plus à celle d’autrui : à quoi j’ajouterai, si l’on veut, que le premier se propos un objet moral, bon ou mauvais, dont l’autre ne se soucie guère.

On me dira que la fidélité de l’histoire intéresse moins que la vérité des mœurs et des caractères ; pourvu que le cœur humain soit bien peint, il importe peu que les événements soient fidèlement rapportés : car, après tout, ajoute-t-on, que nous font des faits arrivés il y a deux mille ans ? On a raison si les portraits sont bien rendus d’après nature mais si la plupart n’ont leur modèle que dans l’imagination de l’historien, n’est-ce pas retomber dans l’inconvénient que l’or, vouloit fuir, et rendre à l’autorité des écrivains ce qu’on veut ôter à celle du maître ? Si mon élève ne doit voir que des tableaux de fantaisie, j’aime mieux qu’ils soient tracés de ma main que d’une autre ; ils lui seront du moins mieux appropriés.

Les pires historiens pour un jeune homme sont ceux qui jugent. Les faits ! les faits ! & qu’il juge lui-même ; c’est ainsi qu’il apprend à connoître les hommes. Si le jugement de guide sans cesse, il ne fait que voir par l’œil