Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/437

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vouloir qu’être l’égal de Pompée ; Alexandre avale une médecine & ne dit pas un seul mot : c’est le plus beau moment de sa vie ; Aristide écrit son propre nom sur une coquille, & justifie ainsi son surnom ; Philopoemen, le manteau bas, coupe du bois dans la cuisine de son hôte. Voilà le véritable art de peindre. La physionomie ne se montre pas dans les grands traits, ni le caractère dans les grandes actions ; c’est dans les bagatelles que le naturel se découvre. Les choses publiques sont ou trop communes ou trop apprêtées, & c’est presque uniquement à celles-ci que la dignité moderne permet à nos auteurs de s’arrêter.

Un des plus grands hommes du siècle dernier fut incontestablement M. de Turenne. On a eu le courage de rendre sa vie intéressante par de petits détails qui le font connoître & aimer ; mais combien s’est-on vu forcé d’en supprimer qui l’auroient fait connoître & aimer davantage ! Je n’en citerai qu’un, que je tiens de bon lieu, & que Plutarque n’eût eu garde d’omettre, mais que Ramsai n’eût eu garde d’écrire quand il l’auroit su.

Un jour d’été qu’il faisoit fort chaud, le vicomte de Turenne, en petite veste blanche & en bonnet, étoit à la fenêtre dans son antichambre : un de ses gens survient, &, trompé par l’habillement, le prend pour un aide de cuisine avec lequel ce domestique étoit familier. Il s’approche doucement par derrière, & d’une main qui n’étoit pas légère lui applique un grand coup sur les fesses. L’homme frappé se retourne à l’instant. Le valet voit en frémissant le visage de son maître. Il se jette à genoux tout éperdu : Monseigneur,