Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/446

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prévenir l’erreur, de peur qu’il ne soit trop tard ensuite pour la détruire.

Il n’y a point de folie dont on ne puisse guérir un homme qui n’est pas fou, hors la vanité ; pour celle-ci, rien n’en corrige que l’expérience, si toutefois quelque chose en peut corriger ; à sa naissance, au moins, on peut l’empêcher de croître. N’allez donc pas vous perdre en beaux raisonnements, pour prouver à l’adolescent qu’il est homme comme les autres & sujet aux mêmes faiblesses. Faites-le lui sentir, ou jamais il ne le saura. C’est encore ici un cas d’exception à mes propres règles ; c’est le cas d’exposer volontairement mon élève à tous les accidents qui peuvent lui prouver qu’il n’est pas plus sage que nous. L’aventure du bateleur seroit répétée en mille manières, je laisserais aux flatteurs prendre tout leur avantage avec lui : si des étourdis l’entraînaient dans quelque extravagance, je lui en laisserois courir le danger : si des filous l’attaquoient au jeu, je le leur livrerois pour en faire leur dupe [1] ; je le laisserois encenser, plumer, dévaliser par eux ; & quand, l’ayant mis à sec, ils finiroient par se moquer de lui, je les remercierois encore en sa présence des leçons qu’ils ont bien voulu lui donner. Les seuls pièges dont je le garantirois avec soin seroient ceux des courtisans. Les seuls

  1. Au reste, notre élève donnera peu dans ce piège, lui que tant d’amusements environnent lui qui ne s’ennuya de sa vie, & qui sait à peine à quoi sert l’argent. Les deux mobiles avec lesquels on conduit les enfants étant l’intérêt & la vanité, ces deux mêmes mobiles servent aux courtisanes & aux escrocs pour s’emparer d’eux dans la suite. Quand vous voyez exciter leur avidité par des prix, par des récompenses, quand vous les voyez applaudir à dix ans dans un acte public