Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/468

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ouvrages de la nature et des hommes ont été les premières divinités des mortels ; le polythéisme a été leur première religion, l’idolâtrie leur premier culte. Ils n’ont pu reconnaître un seul Dieu que quand, généralisant de plus en plus leurs idées, ils ont été en état de remonter à une première cause, de réunir le système total des êtres sous une seule idée, & de donner un sens au mot substance, lequel est au fond la plus grande des abstractions. Tout enfant qui croit en Dieu est donc nécessairement idolâtre, ou du moins anthropomorphite ; & quand une fois l’imagination a vu Dieu, il est bien rare que l’entendement le conçoive. Voilà précisément l’erreur où mène l’ordre de Locke.

Parvenu, je ne sais comment, à l’idée abstraite de la substance, on voit que, pour admettre une substance unique, il lui faudroit supposer des qualités incompatibles qui s’excluent mutuellement, telles que la pensée & l’étendue dont l’une est essentiellement divisible, & dont l’autre exclut toute divisibilité. On conçoit d’ailleurs que la pensée, ou si l’on veut le sentiment, est une qualité primitive et inséparable de la substance à laquelle elle appartient ; qu’il en est de même de l’étendue par rapport à sa substance. D’où l’on conclut que les êtres qui perdent une de ces qualités perdent la substance à laquelle elle appartient, que par conséquent la mort n’est qu’une séparation de substances, & que les êtres où ces deux qualités sont réunies sont composés de deux substances auxquelles ces deux qualités appartiennent.

Or considérez maintenant quelle distance reste encore entre la notion des deux substances & celle de la nature