Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/474

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premier âge, de peur que, content de cette instruction grossière, il n’en négligeât une meilleure a l’age de raison. Cet enfant n’entendoit jamais parler de Dieu qu’avec recueillement & révérence, &, sitôt qu’il en vouloit parler lui-même, on lui imposoit silence, comme sur un sujet trop sublime & trop grand pour lui. Cette réserve excitoit sa curiosité, & son amour-propre aspiroit au moment de connoître ce mystère qu’on lui cachoit avec tant de soin. Moins on lui parloit de Dieu, moins on souffroit qu’il en parlât lui-même, et plus il s’en occupoit : cet enfant voyoit Dieu partout. & ce que je craindrois de cet air de mystère indiscrètement affecté, seroit qu’en allumant trop l’imagination d’un jeune homme on n’altérât sa tête, & qu’enfin l’on n’en fît un fanatique, au lieu d’en faire un croyant.

Mais ne craignons rien de semblable pour mon Émile, qui, refusant constamment son attention à tout ce qui est au-dessus de sa portée, écoute avec la lus profonde indifférence les choses qu’il n’entend pas. Il y en a tant sur lesquelles il est habitué à dire : Cela n’est pas de mon ressort, qu’une de plus ne l’embarrasse guère ; et, quand il commence à s’inquiéter de ces grandes questions, ce n’est pas pour les avoir entendu proposer, mais c’est quand le progrès naturel de ses lumières porte ses recherches de ce côté-là.

Nous avons vu par quel chemin l’esprit humain cultivé s’approche de ces mystères ; & je conviendrai volontiers qu’il n’y parvient naturellement, au sein de la société même que dans un âge plus avancé. Mais comme il y a dans la même société des causes inévitables par lesquelles le progrès