Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/54

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mariage est un contrat fait avec la nature aussi bien qu’entre les conjoints.

Mais quiconque s’impose un devoir que la nature ne lui a point imposé, doit s’assurer auparavant des moyens de le remplir ; autrement il se rend comptable même de ce qu’il n’aura pu faire. Celui qui se charge d’un élève infirme et valétudinaire change sa fonction de gouverneur en celle de garde-malade ; il perd à soigner une vie inutile le temps qu’il destinoit à en augmenter le prix ; il s’expose à voir une mere éplorée lui reprocher un jour la mort d’un fils qu’il lui aura longtemps conservé.

Je ne me chargerois pas d’un enfant maladif & cacochyme, dût-il vivre quatre-vingts ans. Je ne veux point d’un élève toujours inutile à lui-même & aux autres, qui s’occupe uniquement à se conserver, & dont le corps nuise à l’éducation de l’âme. Que ferois-je en lui prodiguant vainement mes soins, sinon doubler la perte de la société & lui ôter deux hommes pour un ? Qu’un autre à mon défaut se charge de cet infirme, j’y consens, & j’approuve sa charité ; mais mon talent à moi n’est pas celui-là : je ne sais point apprendre à vivre à qui ne songe qu’à s’empêcher de mourir.

Il faut que le corps ait de la vigueur pour obéir à l’âme : un bon serviteur doit être robuste. Je sais que l’intempérance excite les passions ; elle exténue aussi le corps à la longue ; les macérations, les jeûnes, produisent souvent le même effet par une cause opposée. Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus