Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je leur ferois donc mâcher des fruits secs, des croûtes. Je leur donnerois pour jouet de petits bâtons de pain dur ou de biscuit semblable au pain de Piémont, qu’on appelle dans le pays des Grisses. À force de ramollir ce pain, dans leur bouche, ils en avaleroient enfin quelque peu : leurs dents se trouveroient sorties, et ils se trouveroient sevrés presque avant qu’on s’en fût aperçu. Les paysans ont pour l’ordinaire l’estomac fort bon, & on ne les sèvre pas avec plus de façon que cela.

Les enfans entendent parler dès leur naissance ; on leur parle non seulement avant qu’ils comprennent ce qu’on leur dit, mais avant qu’ils puissent rendre les voix qu’ils entendent. Leur organe encore engourdi ne se prête que peu à peu aux imitations des sons qu’on leur dicte, & il n’est pas même assuré que ces sons se portent d’abord à leur oreille aussi distinctement qu’à la nôtre. Je ne désapprouve pas que la nourrice amuse l’enfant par des chants & des accents très -gais & très varies ; mais je désapprouve qu’elle l’étourdisse incessamment d’une multitude de paroles inutiles auxquelles il ne comprend rien que le ton qu’elle y met. Je voudrois que les premières articulations qu’on lui fait entendre fussent rares, faciles, distinctes, souvent répétées & que les mots qu’elles expriment ne se rapportassent qu’à des objets sensibles qu’on pût d’abord montrer à l’enfant. La malheureuse facilité que nous avons à nous payer de mots que nous n’entendons point commence plus tôt qu’on ne pense. L’écolier écoute en classe le verbiage de son régent, comme il écoutoit au maillot