Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/97

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qui ont articulé de meilleure heure ; & cet empressement mal entendu peut contribuer beaucoup à rendre confus leur parler, qu’avec moins de précipitation ils auroient eu le temps de perfectionner davantage.

Les enfans qu’on presse trop de parler n’ont le temps ni d’apprendre à bien prononcer, ni de bien concevoir ce qu’on leur fait dire : au lieu que, quand on les laisse aller d’eux-mêmes, ils s’exercent d’abord aux syllabes les plus faciles à prononcer ; & y joignant peu à peu quelque signification qu’on entend par leurs gestes, ils vous donne leurs mots avant de recevoir les vôtres : cela fait qu’ils ne reçoivent ceux-ci qu’après les avoir entendus. N’étant point pressés de s’en servir, ils commencent par bien observer quel sens vous leur donnez ; & quand ils s’en sont assurés, ils les adoptent.

Le plus grand mal de la précipitation avec laquelle on fait parler les enfans avant l’âge, n’est pas que les premiers discours qu’on leur tient & les premiers mots qu’ils disent n’aient aucun sens pour eux, mais qu’ils aient un autre sens que le nôtre, sans que nous sachions nous en apercevoir ; en sorte que, paraissant nous répondre fort exactement, ils nous parlent sans nous entendre & sans que nous les entendions. C’est pour l’ordinaire à de pareilles équivoques qu’est due la surprise où nous jettent quelquefois leurs propos, auxquels nous prêtons des idées qu’ils n’y ont point jointes. Cette inattention de notre part au véritable sens que les mots ont pour les enfants, me paraît être la cause de leurs premières erreurs ; & ces erreurs, même après