Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/121

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l’être dans la simplicité de votre cœur, sans jamais vous en détourner par vanité ni par faiblesse. Osez confesser Dieu chez les philosophes ; osez prêcher l’humanité aux intolérants. Vous serez seul de votre parti peut-être ; mais vous porterez en vous-même un témoignage qui vous dispensera de ceux des hommes. Qu’ils vous aiment ou vous haïssent, qu’ils lisent ou méprisent vos écrits, il n’importe. Dites ce qui est vrai, faites ce qui est bien ; ce qui importe à l’homme est

    dernier jour ; tu ne passeras point le Poul-Serrho que tu ne me satisfasses auparavant ; je m’attacherai au bord de ta veste & me jetterai à tes jambes. J’ai vu beaucoup de gens éminents, & de toutes sortes de professions, qui, appréhendant qu’on ne criât ainsi haro sur eux au passage de ce pont redoutable, sollicitoient ceux qui se plaignoient d’eux de leur pardonner : cela m’est arrive cent fois à moi-même. Des gens de qualité, qui m’avoient fait faire, par importunité, des démarches autrement que je n’eusse voulu, m’abordoient au bout de quelque temps qu’ils pensoient que le chagrin en étoit passé, & me disoient : Je te prie balal becon antchifra, c’est-à-dire rends-moi cette affaire licite ou juste. Quelques-uns même m’ont fait des présents & rendu des services, afin que je leur pardonnasse en déclarant que je le faisois de bon cœur : de quoi la cause n’est autre que cette créance qu’on ne passera point le pont de l’enfer qu’on n’ait rendu le dernier quatrain à ceux qu’on a oppressés." (Tome VII, in-12, page 50.)"

    Croirai-je que l’idée de ce pont qui répare tant d’iniquités n’en prévient jamais ? Que si l’on ôtoit aux Persans cette idée, en leur persuadant qu’il n’y a ni Poul-Serrho, ni rien de semblable, où les opprimés soient vengés de leurs tyrans après la mort, n’est-il pas clair que cela mettroit ceux-ci fort à leur aise, & les délivrerait du soin d’apaiser ces malheureux ? Il est donc faux que cette doctrine ne fût pas nuisible ; elle ne seroit donc pas la vérité.

    Philosophe, tes lois morales sont fort belles ; mais montre-m’en, de grâce, la sanction. Cesse un moment de battre la campagne, & dis-moi nettement ce que tu mets à la place du Poul-Serrho.