Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/135

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jamais un plaisir innocent, si jamais elle est convenable à l’homme, c’est à présent qu’il y faut avoir recours. Émile a tout ce qu’il faut pour y réussir ; il est robuste, adroit, patient, infatigable. Infailliblement il prendra du goût pour cet exercice ; il y mettra toute l’ardeur de son âge ; il y perdra, du moins pour un temps, les dangereux penchants qui naissent de la mollesse. La chasse endurcit le cœur aussi bien que le corps ; elle accoutume au sang, à la cruauté. On a fait Diane ennemie de l’amour ; & l’allégorie est très juste : les langueurs de l’amour ne naissent que dans un doux repos ; un violent exercice étouffe les sentiments tendres. Dans les bois, dans les lieux champêtres, l’amant, le chasseur sont si diversement affectés, que sur les mêmes objets ils portent des images toutes différentes. Les ombrages frais, les bocages, les doux asiles des forts, premier, ne sont pour l’autre que des viandes, des forts, des remises ; où l’un n’entend que chalumeaux, que rossignols, que ramages, l’autre se figure les cors & les cris des chiens ; l’un n’imagine que dryades & nymphes, l’autre que piqueurs, meutes et chevaux. Promenez-vous en camp avec ces deux sortes d’hommes ; à la différence de leur âge, vous connaîtrez bientôt que la terre n’a pas pour eux un aspect semblable, & que le tour de leurs idées est aussi divers que le choix de leurs plaisirs.

Je comprends comment ces goûts se réunissent & comment on trouve enfin du temps pour tout. Mais les passions de la jeunesse ne se partagent pas ainsi : donnez-lui une seule occupation qu’elle aime, & tout le reste sera bientôt oublié. La variété désirs vient de celle des connaissances, & les