Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/137

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ne négligeoient pas la langue des signes. Toutes les conventions se passoient avec solennité pour les rendre plus inviolables : avant que la force fût établie, les dieux étoient les magistrats du genre humain ; c’est par-devant eux que les particuliers faisoient leurs traités, leurs alliances, prononçoient leurs promesses ; la face de la terre étoit le livre où s’en conservoient les archives. Des rochers, des arbres, des monceaux de pierres consacrés par ces actes, & rendus respectables aux hommes barbares étoient les feuillets de ce livre, ouvert sans cesse à tous les yeux. Le puits du serment, le puits du vivant & du voyant, le vieux chêne de Mambré, le monceau du témoin ; voilà quels étoient les monuments grossiers, mais augustes, de la sainteté des contrats ; nul n’eût osé d’une main sacrilège attenter à ces monuments ; & la foi des hommes étoit plus assurée par la garantie de ces témoins muets, qu’elle ne l’est aujourd’hui par toute la vaine rigueur des lois.

Dans le gouvernement, l’auguste appareil de la puissance royale en imposoit aux peuples. Des marques de dignité, un trône, un sceptre, une robe de pourpre, une couronne, un bandeau, étoient pour eux des choses sacrées. Ces signes respectés leur rendoient vénérable l’homme qu’ils en voyoient orné : sans soldats, sans menaces, sitôt qu’il parloit il étoit obéi. Maintenant qu’on affecte d’abolir ces signes [1],

  1. Le Clergé romain les a très habilement conservés, &, à son exemple, quelques républiques, entre autres celle de Venise. Aussi le gouvernement vénitien, malgré la chute de l’état, jouit-il encore, sous l’appareil de son antique majesté, de toute l’affection, de toute l’adoration