Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/138

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qu’arrive-t-il de ce mépris ? Que la majesté royale s’efface de tous les cœurs, que les rois ne se font plus obéir qu’à force de troupes, & que le respect des sujets n’est que dans la crainte du châtiment. Les rois n’ont plus la peine de porter leur diadème, ni les grands les marques de leurs dignités ; mais il faut avoir cent mille bras toujours prêts pour faire exécuter leurs ordres. Quoique cela leur semble plus beau peut-être, il est aisé de voir qu’à la longue cet échange ne leur tournera pas à profit.

Ce que les anciens ont fait avec l’éloquence est prodigieux : mais cette éloquence ne consistoit pas seulement en beaux discours bien arrangés ; & jamais elle n’eut plus d’effet que quand l’orateur parloit le moins. Ce qu’on disoit le plus vivement rie s’exprimoit pas par des mot, mais par des signes ; on ne le disoit pas, on le montrait. L’objet qu’on expose aux yeux ébranle l’imagination, excite la curiosité, tient l’esprit dans l’attente de ce qu’on va dire : & souvent cet objet seul a tout dit. Thrasybule & Tarquin coupant des têtes de pavots, Alexandre appliquant son sceau sur la bouche de son favori, Diogène marchant devant Zénon, ne parlaient-ils pas mieux que s’ils avoient fait de longs discours ? Quel circuit de paroles eût aussi bien rendu les mêmes idées ?

    du peuple ; &, après le pape orné de sa tiare, il n’y a peut-être ni roi, ni potentat, ni homme au monde aussi respecté que le doge de Venise, sans pouvoir, sans autorité, mais rendu sacré par sa pompe, & paré sous sa corne ducale d’une coiffure de femme. Cette cérémonie du Bucentaure, qui fait tant rire les sots, feroit verser à la populace de Venise tout son sang pour le maintien de son tyrannique gouvernement.