Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/145

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Alors ne craignez plus que vos entretiens l’ennuient ; il vous fera parler plus que vous ne voudrez.

Je ne doute pas un instant que, si sur ces maximes j’ai su prendre toutes les précautions nécessaires, & tenir à mon Émile les discours convenables à la conjoncture où le progrès des ans l’a fait arriver, il ne vienne de lui-même au point où je veux le conduire, qu’il ne se mette avec empressement sous ma sauvegarde, et qu’il ne me dise avec toute la chaleur de son âge, frappé des dangers dont il se voit environné : Ô mon ami, mon protecteur, mon maître, t’éprenez l’autorité que vous voulez déposer au moment qu’il m’importe que vous reste ; vous ne l’aviez jusqu’ici que par ma faiblesse, vous l’aurez maintenant par ma volonté, & elle m’en sera plus sacrée. Défendez-moi de tous les ennemis qui m’assiègent, & surtout de ceux que je porte avec moi, & qui me trahissent ; veillez sur votre ouvrage, afin qu’il demeure digne de vous. Je veux obéir à vos lois, je le veux toujours, c’est ma volonté constante ; si jamais je vous désobéis, ce sera malgré moi : rendez-moi libre en me protégeant contre mes passions qui me font violence ; empêchez-moi d’être leur esclave, & forcez-moi d’être mon propre maître en n’obéissant point à mes sens, mais à ma raison.

Quand vous aurez amené votre élève à ce point (et s’il n’y vient pas, ce sera votre faute), gardez-vous de le prendre trop vite au mot, de peur que, si jamais votre empire lui paroit trop rude, il ne se croie en droit de s’y soustraire en vous accusant de l’avoir surpris. C’est en ce moment que la réserve & la gravité sont à leur place ; &