Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/155

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il n’y eût pris ni ce ton ni ces maximes. Des premiers plaisirs des sens ? Tout au contraire : quand on commence à s’y livrer, on est craintif, inquiet, on fuit le grand jour & le bruit. Les premières voluptés sont toujours mystérieuses, la pudeur les assaisonne & les cache : la première maîtresse ne rend pas effronté, mais timide. Tout absorbé dans un état si nouveau pour lui, le jeune homme se recueille pour le goûter, & tremble toujours de le perdre. S’il est bruyant, il n’est ni voluptueux ni tendre ; tant qu’il se vante, il n’a pas joui.

D’autres manières de penser ont produit seules ces différences. Son cœur est encore le même, mais ses opinions ont changé. Ses sentiments, plus lents à s’altérer, s’altéreront enfin par elles ; & c’est alors seulement qu’il sera véritablement corrompu. À peine est-il entré dans le monde qu’il y prend une seconde éducation tout opposée à la première, par laquelle il apprend à mépriser ce qu’il estimoit & à estimer ce qu’il méprisoit : on lui fait regarder les leçons de ses parents & de ses maîtres comme un jargon pédantesque, & les devoirs qu’ils lui ont prêchés comme une morale puérile qu’on doit dédaigner étant grand. Il se croit obligé par honneur à chan de conduite ; il devient entreprenant sans désirs et fat par mauvaise honte. Il raille les bonnes mœurs avant d’avoir ris du goût pour les mauvaises, & se pique de débauche sans savoir être débauché. Je n’oublierai jamais l’aveu d’un jeune officier aux gardes suisses, qui s’ennuyoit beaucoup des plaisirs bruyants de ses camarades, & n’osoit s’y refuser de peur d’être moqué d’eux.