Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/171

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elle se montre sans peine quand on en a ; c’est pour celui qui n’en a pas qu’on est forcé de réduire en art ses apparences.

Le plus malheureux effet de la politesse d’usage est d’enseigner l’art de se passer des vertus qu’elle imite. Qu’on nous inspire dans l’éducation l’humanité & la bienfaisance, nous aurons la politesse, ou nous n’en aurons plus besoin.

Si nous n’avons pas celle qui s’annonce par les grâces, nous aurons celle qui annonce l’honnête homme & le citoyen ; nous n’aurons pas besoin de recourir à la fausseté.

Au lieu d’être artificieux pour plaire, il suffira d’être bon ; au lieu d’être faux pour flatter les faiblesses des autres, il suffira d’être indulgent.

Ceux avec qui l’on aura de tels procédés n’en seront ni enorgueillis ni corrompus ; ils n’en seront que reconnaissants, & en deviendront meilleurs [1].

Il me semble que si quelque éducation doit produire l’espèce de politesse qu’exige ici M. Duclos, c’est celle dont j’ai tracé le plan jusqu’ici.

Je conviens pourtant qu’avec des maximes si différentes, Émile ne : sera point comme tout le monde, & Dieu le préserve de l’être jamais ! Mais, en ce qu’il sera différent des autres, il ne sera ni fâcheux, ni ridicule : la différence sera sensible sans être incommode. Émile sera, si l’on veut, un aimable étranger. D’abord on lui pardonnera ses singularités en disant : Il se formera. Dans la suite on sera tout accoutumé à ses manières ; & voyant qu’il n’en change pas,

  1. Considérations sur les mœurs de se siecle, par M. Duclos, p. 65.