Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/175

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tiennent à l’âge, au sexe, au caractère, & que c’est en ce sens qu’il ne faut pas disputer des goûts.

Le goût est naturel à tous les hommes, mais ils ne l’ont pas tous en même mesure, il ne se développe pas dans tous au même degré, &, dans tous, il est sujet à s’altérer par diverses causes. La mesure du goût qu on peut avoir dépend de la sensibilité qu’on a reçue ; sa culture & sa forme dépendent des sociétés où l’on a vécu. Premièrement il faut vivre dans des sociétés nombreuses pour faire beaucoup de comparaisons. Secondement il faut des sociétés d’amusement et d’oisiveté ; car, dans celles d’affaires, on a pour règle, non le plaisir, mais l’intérêt. En troisième lieu il faut des sociétés où l’inégalité ne soit pas trop grande, où la tyrannie de l’opinion soit modérée, & où règne la volupté plus que la vanité ; car, dans le cas contraire, la mode étouffe le goût ; & l’on ne cherche plus ce qui plaît, mais ce qui distingue.

Dans ce dernier cas, il n’est plus vrai que le bon goût est celui du plus rand nombre. Pourquoi cela ? Parce que l’objet change. Alors la multitude n’a plus de jugement à elle, elle ne juge lus que d’après ceux qu’elle croit plus éclairés qu’elle ; elle approuve, non ce qui est bien, mais ce qu’ils ont approuvé. Dans tous les temps, faites que chaque homme ait son propre sentiment ; & ce qui est le plus agréable en soi aura toujours la pluralité des suffrages.

Les hommes, dans leurs travaux, ne font rien de beau que par imitation. Tous les vrais modèles du goût sont dans la nature. Plus nous nous éloignons du maître, plus nos