Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/183

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que le goût n’étoit que l’art le se connoître & petites choses & cela est très vrai ; mais puisque c’est d --i tissu de petites choses que dépend l’agrément de la vie, de tels soins ne sont rien moins qu’indifférents ; c’est par que nous apprenons à la remplir des biens mis à notre portée, dans toute la vérité qu’ils peuvent avoir pour nous. je n’entends point ici les biens moraux qui tiennent à la bonne disposition de l’âme, mais seulement ce qui est de sensualité, de volupté réelle, mis à part les préjugés & l’opinion.

Qu’on me permette, pour mieux développer mon idée, de laisser un moment Émile, dont le cœur pur & sain ne peut plus servir de règle à personne, & de chercher en moi-même un exemple plus sensible & plus rapproché des mœurs du lecteur.

Il y a des états qui semblent changer la nature, & refondre, soit en mieux, soit en pis, les hommes qui les remplissent. Un poltron devient brave en entrant dans le régiment de Navarre. Ce n’est pas seulement dans le militaire que l’on prend l’esprit de corps, & ce n’est pas toujours en bien que ses effets se font sentir. J’ai pensé cent fois avec effroi que si j’avois le malheur de remplir aujourd’hui tel emploi que je pense en certains pays, demain je serois presque inévitablement tyran, concussionnaire, destructeur du peuple, nuisible au prince, ennemi par état de toute humanité, de toute équité, de toute espèce de vertu.

De même, si étois riche, j’aurois fait tout ce qu’il faut pour le devenir ; je serois donc insolent & bas, sensible & délicat pour moi seul, impitoyable & dur pour tout le monde,