Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/192

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un marché. Je ne connois qu’un moyen de satisfaire ce penchant avec sa maîtresse, sans empoisonner l’amour : c’est de lui tout donner & d’être ensuite nourri par elle. Reste à savoir où est la femme avec qui ce procédé ne fût pas extravagant.

Celui qui disait : je possède Lacs sans qu’elle me possède, disoit un mot sans esprit. La possession qui n’est pas réciproque n’est rien : c’est tout au plus la possession du sexe, mais non pas de l’individu. Or, où le moral de l’amour n’est pas, pourquoi faire une si grande affaire du reste ? Rien n’est si facile à trouver. Un muletier est là-dessus plus près du bonheur qu’un millionnaire.

Oh ! si l’on pouvoit développer assez les inconséquences du vice, combien, lorsqu’il obtient ce qu’il a voulu, on le trouveroit loin de son compte ! Pourquoi cette barbare avidité de corrompre l’innocence, de se faire une victime d’un jeune objet qu’on eût dû protéger, & que de ce premier pas on traîne inévitablement dans un gouffre de misère dont il ne sortira qu’à la mort ? Brutalité, vanité, sottise, erreur, & rien davantage. Ce plaisir même n’est la nature ; il est de l’opinion, & de l’opinion la plus vile, puisqu’elle tient au mépris de soi. Celui qui se sent le dernier des hommes craint la comparaison de tout autre, & veut : passer le premier pour être moins odieux. Voyez si les plus avides de ce ragoût imaginaire sont jamais de jeunes gens aimables, dignes de plaire, & qui seraient plus excusables d’être difficiles. Non : avec de la figure, du mérite & des sentiments, on craint peu l’expérience de sa