Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/197

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Là, je rassemblerois une société, plus choisie que nombreuse, d’amis aimant le plaisir & s’y connaissant, de femmes qui pussent sortir de leur fauteuil & se prêter aux jeux champêtres, prendre quelquefois, au lieu de la navette & des cartes la ligne, les gluaux, le râteau des faneuses, & le panier des vendangeurs. Là, tous les airs de la ville seroient oubliés, &, devenus villageois au village, nous nous trouverions livrés à des foules d’amusements divers qui ne nous donneraient chaque soir quel’embarras du choix pour le lendemain. L’exercice & a vie active nous feroient un nouvel estomac & de nouveaux goûts. Tous nos repas seraient des festins, où l’abondance plairoit plus que la délicatesse. La gaieté, les travaux rustiques, les folâtres jeux sont les premiers cuisiniers du monde, & les ragoûts fins sont bien ridicules à des gens en haleine depuis le lever du soleil. Le service n’aurait pas plus d’ordre que d’élégance ; la salle à manger seroit partout, dans le jardin, dans un bateau, sous un arbre ; quelquefois au loin, près d’une source vive, sur l’herbe verdoyante & fraîche, sous des touffes d’aunes & de coudriers ; une longue procession de gais convives porteroit en chantant l’apprêt du festin ; on auroit le gazon pour table & pour chaise ; les bords de la fontaine serviroient de buffet, & le dessert pendroit aux arbres. Les mets seroient servis sans ordre, l’appétit dispenseroit des façons ; chacun se préférant ouvertement à tout autre, trouveroit bon que tout autre se préférât de même à lui de cette familiarité cordiale & modérée naîtrait, sans grossièreté, sans fausseté, sans contrainte, un conflit badin plus charmant cent fois