Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/200

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ruinés pour l’avoir épargné : quelle triste alternative ! Je ne verrai de tous côtés qu’objets de misère, il n’entendrai que gémissements : cela doit troubler beaucoup, ce me semble, le plaisir de massacrer à son aise des foules de perdrix & de lièvres presque sous ses pieds.

Voulez-vous dégager les plaisirs de leurs peines, ôtez en l’exclusion : plus vous les laisserez communs aux hommes, plus vous les goûterez toujours purs. je ne ferai donc point tout ce que je viens de dire ; mais, sans changer de goûts, je suivrai celui que je me suppose à moindres frais. J’établirai mon séjour champêtre dans un pays où la chasse soit libre à tout le monde, & où j’en puisse avoir l’amusement sans embarras. Le gibier sera plus rare ; mais il y aura plus d’adresse à le chercher et de plaisir à l’atteindre. Je me souviendrai des battements de cœur qu’éprouvait mon père au vol de la première perdrix, & des transports de joie avec lesquels il trouvoit le lièvre qu’il avoit cherché tout le jour. Oui, je soutiens que, seul avec son chien, chargé de son fusil, de son carnier, de son fourniment, de sa petite proie, il revenoit le soir, rendu de fatigue & déchiré des ronces, plus content de sa journée que tous vos chasseurs de ruelle, qui, sur un bon cheval, suivis de vingt fusils chargés, ne font qu’en changer, tirer, & tuer autour d’eux, sans art, sans gloire, & presque sans exercice. Le plaisir n’est donc pas moindre, et l’inconvénient est ôté quand on n’a ni terre à garder, ni braconnier à punir, ni misérable à tourmenter : voilà donc une solide raison de préférence. Quoi qu’on fasse, on ne tourmente point sans fin les hommes qu on n’en reçoive aussi quelque malaise ; & les longues