Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/209

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surtout dans les pays chauds, où il naît plus de femmes que d’hommes, tyrannisés par elles, ils seroient enfin leurs victimes, & se verroient tous traîner à la mort sans qu’ils pussent jamais s’en défendre.

Si les femelles des animaux n’ont pas la même honte, que ensuit-il ? Ont-elles, comme les femmes, les désirs illimités auxquels cette honte sert de frein ? Le désir ne vient polar elles qu’avec le besoin ; le besoin satisfait, le désir cesse ; elles ne repoussent plus le mâle par feinte [1], mais tout de bon : elles font tout le contraire de ce que faisoit la fille d’Auguste ; elles ne reçoivent plus de passagers quand le navire a sa cargaison. Même quand elles sont libres, leurs temps de bonne volonté sont courts & bientôt passés ; l’instinct les pousse et l’instinct les arrête. Ou sera le supplément de cet instinct négatif dans les femmes, quand vous leur aurez ôté la pudeur ? Attendre qu’elles ne se soucient plus des hommes, c’est attendre qu’ils ne soient plus bons à rien.

L’être suprême a voulu faire en tout honneur, a l’espèce humaine : en donnant à l’homme des penchants sans mesure, il lui donne en même temps la loi qui les règle, afin qu’il soit libre & se commande à lui-même ; en le livrant à de passions immodérées, il joint à ces passions la raison pour les gouverner ; en livrant la femme à des désirs illimités, il joint à ces désirs la pudeur pour les contenir. Pour

  1. J’ai déjà remarqué que les refus de simagrée & d’agacerie sont communs à presque toutes les femelles, même parmi les animaux, & même quand elles sont plus disposées à se rendre ; il faut n’avoir jamais observé leur manège pour disconvenir de cela.