Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/240

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rendre agréable aux hommes. Faut-il s’étonner si la taciturnité qu’ils voient régner chez eux les en chasse, ou s’ils sont peu tentés d’embrasser un état si déplaisant ? À force d’outrer tous les devoirs, le christianisme les rend impraticables & vains ; à force d’interdire aux femmes le chant, la danse, & tous les amusements du monde, il les rend maussades, grondeuses, insupportables dans leurs maisons. Il n’y a point de religion où le mariage soit soumis à des devoirs si sévères, & point où un engagement si saint soit si méprise. On a tant fait pour empêcher les femmes d’être aimables, qu’on a rendu les maris indifférents. Cela ne devroit pas être ; j’entends fort bien : mais moi je dis que cela devoit être, puisque enfin les chrétiens sont hommes. Pour moi, je voudrois qu’une jeune Anglaise cultivât avec autant de soin les talents agréables pour plaire au mari qu’elle aura, qu’une tale jeune Albanaise les cultive pour le harem d’Ispahan. Les maris, dira-t-on, ne se soucient point trop de tous ces talents. Vraiment je le crois, quand ces talents, foin d’être employés à leur plaire, ne servent que d’amorce pour attirer chez eux de jeunes impudents qui les déshonorent. Mais pensez-vous qu’une femme aimable & sage, ornée de pareils talents, & qui les consacreroit à l’amusement de son mari, n’ajouteroit pas au bonheur de sa vie, & ne l’empêcheroit pas, sortant de son cabinet la tête épuisée, d’aller chercher des récréations hors de chez lui ? Personne n’a-t-il vu d’heureuses familles ainsi réunies, où chacun sait fournir du sien aux amusements communs ? Qu’il dise si la confiance & la familiarité qui s’y joint, si l’innocence & la douceur des plaisirs