Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/264

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coquetterie exige un discernement encore plus fin que celui de la politesse : car, pourvu qu’une femme polie le soit envers tout le monde, elle a toujours assez bien fait ; mais la coquette perdroit bientôt son empire par cette uniformité maladroite ; à force de vouloir obliger tous ses amants, elle les rebuteroit tous. Dans la société, les manières qu’on prend avec tous les hommes ne laissent pas de plaire à chacun ; pourvu qu’on soit bien traité, l’on n’y regarde pas de si près sur les préférences ; mais en amour, une faveur qui n’est pas exclusive est une injure. Un homme sensible aimeroit cent fois mieux être seul maltraité que caressé avec tous les autres, & ce qui lui eut arriver de pis est de n’être point distingué. Il faut donc : qu’une femme qui veut conserver plusieurs amants persuade à chacun d’eux qu’elle le préfère, & qu’elle le lui persuade sous les yeux de tous les autres, à qui elle en persuade autant sous les siens.

Voulez-vous voir un personnage embarrassé, placez un homme entre deux femmes avec chacune desquelles il aura des liaisons secrètes, puis observez quelle sotte figure il y fera. Placez en même cas une femme entre deux hommes, et sûrement l’exemple ne sera pas plus rare ; vous serez émerveillé de l’adresse avec laquelle elle donnera le change à tous deux, & fera que chacun se rira de l’autre. Or, si cette femme leur témoignoit la même confiance, & prenoit avec eux la même familiarité, comment seroient-ils un instant ses dupes ? En les traitant également, ne montreroit-elle pas qu’ils ont les mêmes droits sur elle ? Oh ! qu’elle s’y prend bien mieux que cela ! Loin de les traiter de la même