Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/290

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la vertu ; elle l’aime, parce que la vertu fait la gloire de la femme, & qu’une femme vertueuse lui paraît presque égale aux anges ; elle l’aime comme la seule route du vrai bonheur, & parce qu’elle ne voit que misère, abandon, malheur, opprobre, ignominie, dans la vie d’une femme déshonnête ; elle l’aime enfin comme chère à son respectable père, à sa tendre et digne mère : non contents d’être heureux de leur propre vertu, ils veulent l’être aussi de la sienne, & son premier bonheur à elle-même est l’espoir de faire le leur. Tous ces sentiments lui inspirent un enthousiasme qui lui élève l’âme & tient tous ses petits penchants asservis à une passion si noble. Sophie sera chaste et honnête jusqu’à son dernier soupir ; elle l’a juré dans le fond de son âme, & elle l’a juré dans un temps où elle sentoit déjà tout ce qu’un tel serment coûte à tenir ; elle l’a juré quand elle en auroit dû révoquer l’engagement, si ses sens étoient faits pour régner sur elle.

Sophie n’a pas le bonheur d’être une aimable Française, froide par tempérament et coquette par vanité, voulant plutôt briller que plaire, cherchant l’amusement et non le plaisir. Le seul besoin d’aimer la dévore, il vient la distraire & troubler son cœur dans les fêtes ; elle a perdu son ancienne gaieté ; les folâtres jeux ne sont plus faits pour elle ; loin de craindre l’ennui de la solitude, elle la cherche ; elle y pense à celui qui doit la lui rendre douce : tous les indifférents l’importunent ; il ne lui faut pas une cour, mais un amant ; elle aime mieux plaire à un seul honnête homme, & lui plaire toujours, que d’élever en sa faveur le cri de la mode, qui dure un jour, & le lendemain se change en huée.